Cyclamens et Maquis.
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Nous prenions une petite côte abrupte et nous nous retrouvions dans l’immense propriété Nocchi. C’était un ensemble de plusieurs collines, garnies de maquis méditerranéen assez dense. Lentisques, myrtes et cistes embaumaient nos narines et assuraient aux bulbes de cyclamens l’humidité, qu’ils exigeaient pour nous fournir ces fleurs délicates, au parfum si caractéristique et si puissant. Je me souviens de la taille très petite de ces fleurs en comparaison de celle des cyclamens commerciaux de nos fleuristes, qui n’offrent aucun effluve. Le nôtre, le petit cyclamen algérois présentait une couleur violine pâle et délicate, couleur unique des Deux-Moulins jusqu’à Baïnem. Je n’ai retrouvé la fleur qu’en Corse, en particulier dans le col qui sépare Saint-Florent du désert des Agriates et aussi sur la route forestière qui serpente au-dessus de Moriani-Plage. Mais là, la couleur fonce nettement dans le violine et il me semble que la note olfactive est légèrement moins puissante. Mais il faut se méfier de la mémoire olfactive. Elle ne vaut pas la visuelle malgré sa puissance évocatrice. Chacun a pu se rendre compte en effet qu’une odeur, croisée au coin d’une rue ou au grand air d’un champ, peut propulser un personnage au plus profond de sa jeunesse la plus intime en une fraction de seconde. Moi-même, certains jours au hasard d’un mélange olfactif sournois, je croisais souvent la note subtilement marine et musquée de ma petite plage deux-moulinoise. Et cela arrivait toujours à un endroit très précis de l’usine, pas très loin du stockage des infusions de musc, de vanille et d’ambrette, je subissais alors un choc olfactif majeur et me retrouvais instantanément sous le boulevard Pitolet. Je croyais entendre crisser le gravier sous mes pas et j’apercevais cette jolie plage toujours très humide de mon enfance. C’était tout à la fois agréable et fabuleux de naviguer si vite à travers les années pour effacer d’un coup 10 ou 20 ans d’une vie. J’étais pourtant rompu aux odeurs de toutes sortes, j’ai dû contrôler olfactivement cinquante à cent flacons par jour de 1962 à 1978. Et malgré cela, la surprise de la rencontre olfactive inopinée et sa puissance d’évocation d’un lieu ou d’un instant de vie restait énorme. Mais revenons à notre maquis des collines algéroises. C’était un champ de jeu et de découverte immense. Il y avait de tout dans ce petit paradis. Des sources limpides et bien fraîches nous désaltéraient à l’envi et donnaient naissance à des ruisseaux fabuleux, où nous trouvions un cresson savoureux, que nous adorions « brouter » sur le site. Dans ce même filet d’eau, de minuscules grenouilles vertes et noires folâtraient gaiement et grives et perdreaux rouges venaient boire. Ces perdreaux rouges vivaient en « compagnie» . Il n’était pas rare que nos balades à pied ne dérangent toute une compagnie. Elle s’envolait alors d’un seul coup avec le bruit caractéristique et assourdissant que peuvent faire 8 à 20 perdreaux au départ d’un vol, avant de planer majestueusement d’un bel ensemble pour aller se poser sur le flanc de colline voisin. Quel spectacle c’était ! |
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